L’entreprise intéresse Weber, mais les sociologues seulement bien plus tard car l’entreprise est en effet une institution du capitalisme. Elle redevient un objet d’étude lorsque on remarque de nouveau son rôle social (contre l’exclusion, etc.), et par rapport à la culture d’entreprise.
La sociologie du travail est le premier regard des sociologues sur l’organisation (ex : courant socio-technique). Elle s’intéresse au travail en soi (et non à la productivité ou au climat social dans telle ou telle entreprise) et est donc idéologique = rôle de l’Etat, partage du travail, conséquences du taylorisme, classes dans l’entreprise...
Il s’agit généralement de critiquer les conditions d’exercice du travail. Ex : G. Friedman : les problèmes contemporains du travail sont des problèmes de culture et de société. Critique du taylorisme, conséquences sociales de la transformation du travail et de l’avènement de la production de masse. Relie les problèmes à l’élargissement des tâches etc; mais aussi à un problème de société car les réponses ne sont pas seulement techniques (éducation).
A. TOURAINE a essayé d’interpréter à la fois l’évolution de l’influence des techniques industrielles sur l’organisation du travail (comme G. FRIEDMANN) et l’évolution de l’influence des techniques administratives sur l’organisation des entreprises. A partir de 1968, il a essayé d’interpréter l’évolution des organisations et des acteurs sociaux à travers les changements de la société contemporaine.
• La sociologie des organisations fait apparaître l’acteur : l’organisation est un système de relation, d’intéraction. S’inscrit contre le béhaviorisme sur lequel s’était construit le taylorisme. Elles s’intéresse aux procédures de travail. On passe du niveau macro (étude du travail) à la micro (étude du travail dans les organisations).
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• Avec la sociologie de l’entreprise, on ne s’intéresse plus la grande organisation bureaucratique, mais aux entreprises, dont les individus sont marqués par les lien plus fort d’appartenance, communauté de vie. Les phénomènes mis en évidence sont les réseaux d’individus, l’identité, les symboles, les cultures. On ne s’intéresse plus au travail dans les organisations, mais à la réalité sociale des entreprises (relations entre individus, motivation, conflits,...).
M. Crozier étudie l’organisation et le comportement des travailleurs, principalement dans les entreprises publiques. M. Crozier décrit la bureaucratie à la française et les structures et le mode de fonctionnement des services publics dans les années 1960. Sa méthode repose sur l’analyse stratégique des comportements et de l’action organisée . L’analyse stratégique est à comprendre comme une méthode heuristique d’investigation de l’action collective, donc rien à voir avec celle de Porter. Crozier a une aversion pour une détermination du devenir collectif. Dès 1957, Michel Crozier a présenté la sociologie des organisations comme une transformation de l’approche passionnelle des problèmes humains, avec une volonté de banaliser le pouvoir, de dépsychologiser les conflits, de le débarrasser de leur manteau affectif. L’individu ne résume pas à une main (taylor), une main + coeur (Mayo), mais une Main+cœur+tête. ;;
Même si leurs objectifs ne sont pas les mêmes, des modalités de régulation permettent de concilier l’acteur et le système dans les organisations. Cette théorie part non pas de l’existence de l’entreprise mais de ses problèmes et dysfonctionnements et du rôle de l’acteur (un ou plusieurs individus). L’acteur cherche à remplir ses objectifs qui sont plus ou moins conscients et affirmés et surtout, ce qui est l’avancée principale de la théorie, à augmenter son pouvoir, en agissant selon ses ressources et ses contraintes dans les zones de liberté et d’incertitude qu’il contrôle. Pour Friedberg le pouvoir est compris comme une mise en rapport d’individus dans un contexte organisé. Le pouvoir n’est ni rapport de force, ni substance identifiable, c’est la structure d’interaction qui fait qu’à un moment donné, et compte tenu de sa capacité à mobiliser des ressources que les autres n’ont pas, l’acteur pourra développer une relation de pouvoir.
Renaud Sainsaulieu et Denis Segrestin : “réhabilitation “ de l’entreprise et analyse institutionnelle de l’entreprise. L’entreprise tend désormais à devenir une des institutions centrales de la société, un lieu essentiel de socialisation dans notre société, par ses effets d’intégration comme par ses effets d’exclusion. Cette métamorphose progressive de l’entreprise-organisation en entreprise-institution découle du processus de dé-taylorisation, gage d’une autonomie supplémentaire, de la crise économique qui oblige à la cohésion pour la survie, de l’usage accru par le management du symbolique ou de l’idéologie comme principe de gestion (le réenchantement de l’entreprise).
L’institution se différencie par sa légitimité reconnue où la cohésion sociale interne est basée sur la justice, ou du moins quelque chose de perçu par tous comme tel. E.DURKHEIM insiste sur l’importance de l’emblème de ralliement et d’une culture ou d’une compétence communes, favorables à une reconnaissance mutuelle qui rattache tout le monde. De même, M. CROZIER préconise la recherche d’une culture de masse à laquelle tout le monde s’identifie et qui soit vivante pour que chacun individuellement puisse y apporter sa contribution et s’épanouir.
R. SAINSAULIEU définit l’entreprise comme un produit de société. L’organisation est un phénomène culturel, c’est-à-dire qu’elle détermine un mode de vie. Les influences sont cependant réciproques puisque la culture agit aussi sur le caractère d’une organisation. La culture et les sous-cultures d’entreprise se développent comme un ethos que créent et soutiennent les processus sociaux, les images, les symboles et les rituels. L’organisation apparaît comme l’énaction d’une réalité commune.
Les mondes sociaux de l’entreprise 4 auteurs dont Renaud Sainsaulieu. Analyse des formes de lien social dans les entreprises contemporaines, puis leur comparaison par rapport aux grands modèles de production et d’intégration sociale des Trente Glorieuses. Le compromis social fordien permettant l’accès pour tous à la société de consommation et la promesse d’un avenir meilleur en termes de conditions de vie disparait. = accroissement sensible des contraintes de l’environnement.
Pluralité des mondes sociaux d’entreprise : l’entreprise duale, l’entreprise bureaucratique, l’entreprise modernisée, l’entreprise en crise, l’entreprise communauté. La mise en évidence de cinq mondes sociaux d’entreprise permet de rompre avec une conception unique de l’entreprise. C’est un apport pour la GRH.
Rupture avec une gestion statutaire et bureaucratique et mise en place de nouveaux outils de GRH. L’acteur contraint et menacé, sans pouvoir et sans qualification à cause d’une expertise technique dépassée, est le grand perdant. Un des acteurs toujours puissants est l’acteur de contrôle. Apparaissent l’acteur occasionnel et l’acteur émergent.
Les économies de la grandeur (ou économies des conventions) sont à la frontière économie/sociologie (proposées par Luc Boltanski et Laurent Thévenot) et proposent des réflexions sur la production des accords et la réalisation des coordinations entre personnes. Elles se basent sur l’acteur. Se veut une remise en cause de la théorie des organisations.
Théorie des conventions : Quelle est l’origine de l’action collective au travail ? Que fait agir les gens ? Réponses variables : satisfaction du travail bien fait, efficacité et rentabilité, tradition professionnelle... Les acteurs avec des buts différents s’accordent sur des compromis, qui transparaissent dans les accords d’entreprise, conventions collectives, etc. Chaque entreprise fonctionne à partir d’un tissu de normes et de conventions qui coordonne les différents acteurs.
Théorie de la traduction : Les relations entre les individus sont marquées par la recherche de buts antagonistes (les chasseurs et les écologistes, etc.). L’objectif est de « traduire » les messages dans des langages qui permettent un consensus entre les différentes parties en présence. L’objectif des institutions concernées (Etat, entreprise...) est que chacun doit se voir assigner un rôle, pour que l’ensemble devienne solidaire.
Pour comprendre les organisations, le sociologue s’attache à l’histoire et aux sociétés. L’histoire aide à la compréhension, mais ne se répète jamais. P. d’Iribarne : on comprend l’entreprise française grâce à l’histoire. Apport de l’histoire : elle ne se répète jamais. Selon l’historien Bloch, les officiers français ont perdu la guerre en 1940 car ils avaient étudié la victoire de 14. Attention donc aux success stories du type de celles de Peters & Waterman.
La religion dominante permet également de comprendre les formes d’organisation (ex : le catholicisme hiérarchisé se retrouve en France, le bouddhisme en Chine, etc.)
La sémiologie : sciences des signes. Toute la vie est porteuse de signes destinés à ses clients, ses concurrents, ses employés.... La sémiologie apporte une compréhension, voire une maîtrise de ses signes. Ex. Roland Barthes et les pâtes Panzani.
Penser les structures en oubliant les gens, c’est s’exposer aux déboires du management technocratique. La névrose méthodologique menace les entreprise. Travailler n’est pas tant “faire” ou “gagner sa vie” que trouver une identité. Dans l’entreprise, les gens s’identifient à celui qui est grand, fort, haut placé, celui qui est “au-dessus”, celui qui est “là-haut”.
L’entreprise est peuplée d’acteurs qui agissent en fonction de leurs compétences mais aussi de leur attachement à l’entreprise. L’organisation n’est jamais neutre pour l’individu. Celui-ci a toujours un attachement pour elle, souvent inconscient et parfois conflictuel. C’est un rapport bilatéral, cad qu’il va dans les deux sens. Il en résulte une création naturelle de construits sociaux (équilibre psycho-politique), qui est une partie importante de l’identité du système. Le rôle de chaque acteur se joue par rapport à la structure formelle mais aussi par rapport aux construits sociaux. Importance de l’inconscient : réaction aux angoisses, etc. Les construits sociaux peuvent être dégagés par une enquête ethnographique sur les moeurs de l’entreprise : c’est la symbolique (valeurs, tabous, rumeurs, mythes, héros, habitudes).
Jean-François Chanlat : (hec montreal) veut une anthropologie des organisations qui intégre les dimensions humaines et techniques de l’organisation dans un seul modèle.
Dans le prolongement de la mise en relief du contenu psychologique inconscient des organisations, l’organisation s’affirme comme un instrument de domination de l’individu. L’exemple traditionnel, repris notamment par MARX, WEBER et M. MICHEL, est celui de la “belle” pyramide de Giseh dont on oublie qu’elle a nécessité la mort par épuisement au travail de centaines de milliers d’esclaves. De plus, le développement de la science et son recours excessif aux produits chimiques ont des conséquences très néfastes à terme sur le corps humain. Les théoriciens radicaux de l’organisation insistent sur les liens étroits entre organisation, classe et contrôle. Les classes défavorisées sont plus facilement sujettes à des accidents du travail, tandis que les autres souffrent du stress social et mental. Les multinationales sont très puissantes et souvent beaucoup plus que nombre d’Etats. Ce phénomène, accru par l’existence de cartels rend ces firmes incontrôlables, et l’on voit se développer ainsi l’exploitation du Tiers-monde.
Selon G. SIMMEL, toute société fonctionne par les interactions relatives entre ses membres. Le contenu psychologique est difficilement accessible mais pourtant d’ampleur considérable. L’organisation est perçue par JUNG, FREUD ou WEBER comme une prison du psychisme dans laquelle l’individu tente de se libérer de toutes ses frustrations refoulées (sexualité, famille, mort, enfance, angoisse, etc.). Bonnes raisons inconscientes que trouve l’individu pour rester dans une entreprise : l’organisation est le moyen détourné de satisfaires ses désirs (refoulés) ou d’aménager ses conflits.
L’analyse des processus psychiques mobilisés par les salariés est l’objet de la psychodynamique : sentiment de l’injustice, peur, trahison, risque... La souffrance au travail surgit lorsque le rapport à l’organisation est bloqué, la coopération brisée. La psychodynamique est utile pour améliorer la sécurité dans les entreprises.
Selon les systémistes, les mécanismes qui interviennent dans les rapports des membres d’une équipe de travail ne sont pas radicalement différents de ceux qui expliquent ce qui se produit dans une famille. Des thérapies comparables s’appliqueraient (D. Campbell). L’individu appartient à la fois à plusieurs groupes sociaux. Il transfère de l’un à l’autre des comportements et des représentations. La famille a un statut particulier par ce qu’elle est le groupe d’origine et que c’est au sein de ce groupe qu’ont été appris les rapports sociaux élémentaires. La famille dans l’entreprise d’aujourd’hui reste valorisée positivement. On se marie avec l’entreprise pour y vivre une utopie. Le besoin d’être aimé, refusé consciemment, reste le moteur de nos relations. Des rôles joués dans notre famille d’origine font partie de notre personnalité. Le nouveau peut attribuer à son patron, à ses collègues, à ses collaborateurs, les rôles des personnages qui ont compté pour lui dans son enfance. Chacun va chercher un père, meilleur que son propre père : pouvoir illimité, sagesse, vertu et savoir. Il sera prêt à avoir vis-à-vis de ce père respect, obéissance et loyauté. Difficulté pour un enfant unique à vraiment faire partie d’une équipe.
La théorie d’Adizes identifie une ressemblance complexe des entreprises avec les organismes vivants : l’entreprise mime continuellement les organismes qui l’habitent, les personnes physiques qui l’ont créée, qu’elle emploie ou qui la conduisent. La vie d’une organisation serait très comparable à celle d’un être humain : naissance, enfance, adolescence, âge adulte, vieillesse, mort... Les pratiques des psychologues sur les individus peuvent donc être facilement adaptées à l’organisation.
Tenir compte pour mieux cerner les résistances au changement et les logiques de prise de décision des managers des représentations et de l’imaginaire organisationnel = ensemble des croyances et des hypothèses relativement répandues dans l’organisation et tenues pour vraies, du rôle idéal de l’entreprise, de la fonction des procédures et des systèmes de contrôle.
Le sociologue met en évidence des phénomènes, pose des questions, mais ne prend pas de décision ; c’est le rôle du manager. Le sociologue ne s’intéresse pas à l’efficacité de l’organisation, mais à la compréhension des comportements en son sein. Les sociologues sont demandés pour du conseil en leadership, l’amélioration du climat social, etc. La mise en question des rapports entre culture, structure et pratique a permis dans le domaine des contrôles sociaux d’abandonner la rigidité bureaucratique pour la mise en place d’une structure moins réglementée et plus souple.
Les systèmes de gestion se sont complexifiés et éloignés de la réalité, il existe trop de diversité des organisations pour admettre des théories. Choisir les modèles politiques est complémentaire. La proposition n’est pas un modèle mais une grille qui s’adapte à toutes les entreprises. Toutes les formalisations sont inexactes et ne représentent pas le réél dans toute sa complexité, ce sont juste des représentations pour aider à la compréhension. Cette réflexion aide les entreprises à mieux gérer en même temps les stratégies d’adaptation et le maintien de leur unité (compte tenu des pouvoirs et de l’information).
Nouvelle définition des organisations : lieu de mise en oeuvre d’une action collective fortement contrainte et finalisée. Les dimensions de l’action collective : existence de normes et de règles, qui entraînent culture et structure. La socioculture est produite par la relation entre le fonctionnement et la référence culturelle d’une organisation. L’appropriation des normes par les acteurs construit les systèmes de valeurs, car en fonction de leur position dans la structure sociale, les acteurs valorisent différemment les normes sociales.
Un système politique est l’ensemble des processus, qui, à partir des grandes orientations socio-culturelles, produit des normes et des règles s’imposant aux pratiques sociales. L’entreprise est “un système politique” : elle ne peut être vue seulement sous l’angle de la production. L’entreprise fonctionne comme un être humain : perception des choses et réactions. L’entreprise s’est peu à peu transformée en espace politique, dans lequel la négociation, la concertation et la communication sont devenues des nécessités fonctionnelles et des traits culturels de nos sociétés. Il existe un processus d’intégration des différences et des enjeux de pouvoir entre les individus d’une même unité.
L’équilibre psycho-politique s’établit naturellement à partir de construits sociaux. Ce sont des processus sociaux, l’intérêt de chacun est d’augmenter son pouvoir (objectif individuel) et aussi de servir l’entreprise (objectif de groupe). Il y a toujours des enjeux de pouvoir dans les entreprises.
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